L’égalité homme femme, un vœu pieu ou une réalité en marche ?

Le chemin vers l’égalité homme femme et une véritable mixité au travail est long, mais connait de réelles avancées. Il existe aujourd’hui quelques « îlots » dans le monde du travail qui ouvrent la voie. L’enjeu est d'analyser les nouvelles pratiques qui émergent afin de les consolider, mais aussi de rester vigilant sur les risques inhérents à ces changements profonds.

 

Quelques chiffres encourageants

Si des « îlots » de progrès existent, il n’en subsiste pas moins de nombreux « territoires » où la lutte pour l’égalité est encore loin d’être terminée. 19% de femmes à l’Assemblée Nationale, seulement 20% des maires malgré de nombreuses listes paritaires, et un grand nombre de familles professionnelles demeurent très peu ouvertes aux femmes, comme les ingénieurs de l’industrie (22,5 % de femmes), les architectes et cadres du BTP (20,7 %), les cadres de la logistique (22,7 %)1. Et toujours l’inégalité scandaleuse des salaires de  15 à 25% de différence entre les femmes et les hommes.

Ce sont des chiffres que nous pouvons ensemble, femmes et hommes, faire évoluer. Du côté des nouvelles encourageantes, les effets de la loi Copé-Zimmermann sont plutôt positifs. Ainsi en 2013, la moyenne des femmes dans les conseils d’administration des sociétés du CAC 40 atteignait 28,2% (contre 16,5% il y a seulement trois ans)

De plus, la part des femmes a progressé de 20 points entre 1983 et 2011 dans de très nombreux métiers, comme les cadres commerciaux, les formateurs, les cadres de la banque ou les professionnels du droit . Une étude montre néanmoins qu’un peu moins d'un tiers (32%) des femmes actives sont managers contre 54% des hommes. Dans 7 cas sur 10, le manager actuel de la personne interrogée est un homme. Pourtant, le management féminin est installé dans les entreprises françaises, les trois-quarts des employés interrogés ayant eu au moins une fois une femme comme manager.

L’égalité et la mixité homme femme progressent et il n’y a pas de régression majeure en la matière. La tendance sociétale et réglementaire actuelle peut faire bouger les lignes, comme ce fut le cas dans les pays nordiques.

Il existe donc de nombreuses entreprises et administrations qui ont des équipes, des services où l’égalité et la mixité sont la norme. Le management intermédiaire est assuré par bon nombre de femmes et d’hommes qui tous sont amenés à prendre des décisions complexes et assumer des lourdes responsabilités au quotidien.

Regardons de plus près au cœur de ces « îlots » les nouvelles interactions et relations professionnelles qui s’installent. Nous pourrons accompagner le mouvement afin d’éviter d’éventuelles régressions, mais aussi favoriser l’émergence d’une nouvelle intelligence collective mixte.

Se garder de tout angélisme.

Les derniers chiffres font apparaître de manière indéniable les bienfaits de la mixité. Selon une étude réalisée par Goodwill Management pour « IMS-Entreprendre pour la Cité », à partir de quatre grandes entreprises (AXA, L’Oréal, Orange et Vinci), la diversité, dès lors qu’elle est bien managée, augmenterait la rentabilité de 5 à 15%, selon les types d’activité. D’ après diverses études des Nations Unies, de l’OCDE, ou encore du FMI, les inégalités hommes femmes ont des conséquences économiques importantes. Des études différentes estiment que les Etats-Unis, l’Europe et le Japon pourraient développer fortement leur PNB, jusqu’à 13 ou 16 %, en diminuant l’écart entre les sexes et en améliorant le statut économique des femmes.

Restons néanmoins réservé sur les conclusions à tirer de ces chiffres qui pourraient faire croire à un effet « baguette magique ». Ils décrivent des résultats, mais pas les difficultés de mise en œuvre de l’égalité et de la mixité. Car c’est d’une évolution sociétale majeure dont il s’agit, et non d’une nouvelle méthode de management permettant d’augmenter marges et performances des entreprises et des Etats. Or, pour chaque changement majeur dans la société, des conservatismes ressurgissent souvent de façon inattendue par leur ampleur. Rappelons-nous des débats et des propos violents à l’époque de la loi sur l’IVG, jusqu’aux manifestations contre le mariage pour tous. De plus nous n’avons aucun précédent significatif sur une mixité et une égalité hommes-femmes effective dans l’ensemble du monde du travail. Soyons donc vigilants et prudents sur les effets inattendus de cette avancée sociale, sur plusieurs points :

1- Les études précédentes sur la diversité ont certes montré qu’il y a une augmentation des performances des groupes observés quand des démarches d’ouverture à la diversité des profils se font, mais il y a toujours une phase à court terme où les différences sont susceptibles de rendre les équipes moins performantes. Il convient aussi d’intégrer le fait que cette évolution vers la mixité et l’égalité est en marche dans un contexte de clivage sociologique générationnel des générations Y et Z. Ce qui ajoute un autre niveau de complexité dans la mise en œuvre de ces démarches.

2- Ne sous-estimons pas les jeunes hommes de la génération Y, car pour beaucoup les « questions de genre » sont un peu dépassées et les garçons de cette génération montrent une attitude différente et plus progressiste. Ils ont fréquenté des écoles et des universités où les filles prédominent (à l’exception des écoles d’ingénieurs) et ils sont donc très tôt en compétition avec celles-ci pour rentrer sur un marché du travail tendu. Ils peuvent constater qu’être un homme leur confère encore aujourd’hui un avantage concurrentiel. Il est donc illusoire de penser qu’ils seront naturellement de grands promoteurs de l’égalité et de la mixité, d’autant plus qu’ils pourront conclure des alliances intergénérationnelles avec leurs ainés afin de reproduire les stéréotypes classiques.

3- Du côté des femmes, la marche vers l’égalité et la mixité représente toujours une lutte quotidienne. Elles en payent le prix fort avec un nombre de burn out plus élevé que chez les hommes et une difficulté plus grande à trouver un équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle.

4- Enfin, les résultats d’une étude sur le sexisme montrent une réalité certes connue, mais qui apparaît de façon criante: l’ampleur du sexisme ordinaire et ses effets délétères sur la qualité de vie au travail des femmes. Quatre femmes sur cinq considèrent que, dans le monde du travail, les femmes sont régulièrement confrontées à des attitudes ou comportements sexistes (contre 56% des hommes) ; 90% des femmes salariées considèrent qu’il est plus facile de faire carrière pour un homme ; la moitié des femmes a déjà entendu un « ma poule, ma cocotte, miss… » dans son travail ; 54% des femmes salariées estiment avoir rencontré un frein professionnel en raison de leur sexe. Lorsqu’elles expriment des prétentions salariales, une femme sur trois les voit remises en question, contre moins d’un homme sur vingt.

Favoriser la mise en place d’une nouvelle intelligence collective mixte

Mon travail auprès des entreprises que j’accompagne depuis une quinzaine d’année en tant que consultant coach formateur, ainsi que mes échanges avec de nombreux et nombreuses confrères et consœurs m’ont permis de recueillir des témoignages sur des problématiques où l’impact du masculin et du féminin reste très prégnant.

Voici quelques exemples des témoignages recueillis sur des problématiques où l’impact du masculin et du féminin reste très prégnant.

« Mon chef est un homme et ce n’est pas facile », « Mon chef est une femme et ce n’est pas facile », « Il/elle part à 18 heures est ce qu’il/elle mérite une promotion », « Je n’ose pas dire à ma collaboratrice certaines choses car je suis un homme », « Je n’ose pas dire à mon collaborateur certaines choses car je suis une femme », « Je suis un homme avec une collaboratrice plus âgée et je n’ose pas lui dire certaines choses »,« Dans mon équipe, certaines femmes m’accusent d’avoir un comportement différent avec les hommes et de ne pas les considérer de la même manière »…

Nous sommes devant un nouveau « travailler ensemble » où hommes et femmes découvrent aussi bien les points qui les rassemblent que ceux qui les différencient dans les relations professionnelles. Femmes et hommes doivent faire preuve de maturité afin d’identifier et faire évoluer leurs préjugés conscients ou inconscients. Mettre en évidence la mixité comme levier de croissance et de développement pour les entreprises passe aussi par la compréhension de nouvelles contradictions et de nouveaux paradoxes.

Pour profiter des fruits de la mixité, l’enjeu est de faire évoluer les pratiques managériales en s’enrichissant des expériences de groupes mixtes afin de favoriser une logique de coproduction qui permettra l’émergence de nouvelles pratiques. Or l’impulsion doit souvent venir « d’en haut » : des Directions, des Chefs d’entreprise, voire de l’Etat. Les thèmes proposés par la loi de 2014 sont pertinents : recrutement, formation, promotion professionnelle, qualification, classification, conditions de travail, rémunération effective, articulation entre l’activité professionnelle et l’exercice de la responsabilité familiale. Mais ce n’est qu’une condition nécessaire qui ne sera pas suffisante si des relais en interne ne se mobilisent pas.

Les moyens de cette mobilisation passent par de nouvelles pratiques :

1-  Co construire la démarche en organisant des espaces de partage d’expérience et d’enrichissement inédits qui impliqueront les différents acteurs femmes et hommes de l’entreprise.

2- Favoriser l’intelligence collective afin de s'extraire d'un regard stéréotypé en construisant sur les situations professionnelles auxquelles sont confrontés les participants et les participantes dans leur quotidien professionnel.

3- Apprendre à devenir « bilingue » concernant les relations professionnelles mixtes.

Comment obtenir l’adhésion des équipes pour un changement durable?

1- En favorisant des ateliers de travail en groupe mixte sur des thèmes choisis par l’institution et le corps social, ce qui permet de mettre en place les conditions d’un dialogue constructif, sans s’arrêter aux premiers réflexes et/ou préjugés et en restant concentré sur l’objectif. Le travail de groupe favorise le changement durable des individus, car un adulte intègre plus facilement l’expérience réussie de ses pairs que celle d’un sachant.

2- Si le thème des ateliers porte sur la mixité, et pour être congruent avec le sujet, il est naturel qu’ils soient animés par un binôme homme/femme. Cela met en confiance en évitant le soupçon de parti-pris pour les uns ou les autres en fonction du sexe de l’intervenant.

3- Il est inévitable de se heurter à des résistances. Les hommes, de tous les âges, ainsi que les femmes, peuvent réagir de manière défensive lorsque l’on remet en question les normes relatives au genre. Ces résistances proviennent tout autant d’ un mécanisme de défense face à l’incertitude que de la volonté de protéger ses privilèges et/ou l’hostilité envers le féminisme.

La problématique homme-femme se résume finalement à deux questions essentielles : comment comprendre en quoi nous sommes à la fois si semblables et si différents ? Et comment utiliser ce savoir pour aider chacun à développer tout son potentiel ?

Un beau défi à relever !