Vers un nouveau genre managérial ?

La dynamique vers l’égalité entre les femmes et les hommes dans l’entreprise est en passe de devenir une réalité. Mais emprunte-t-on le bon chemin ?

C’est une question importante, car c’est un changement sociétal profond de grande envergure qui est en cours et qui aura des conséquences sur le monde du travail et sur le management.

Regardons les faits, aujourd’hui dans le monde pour deux hommes qui obtiennent un diplôme, trois sont obtenus par une femme, elles sont devenues majoritaires dans la population active américaine, elles commencent à dominer dans des métiers réservés jusqu’ici aux hommes comme les médecins et les avocats, aujourd’hui il est admis que les jeunes femmes gagnent plus que les hommes. Il est évident que nous ne pourrons pas revenir en arrière, et tant mieux.

Certain(es) objecteront que le plafond de verre est toujours là et que l’accès au conseil d’administration est toujours verrouillé par les hommes, que les taches ménagères sont toujours faites par 65 % par des femmes et qu’il y a toujours une grande disparité de la condition féminine selon les pays. Il est évident que ces tendances doivent évoluer, et que les femmes et les hommes de la génération X, Y et Z s’y emploieront.

Mais nous pouvons dire néanmoins qu’aujourd’hui, les places des hommes et des femmes sont en cours de rééquilibrage et que la marche (lente) vers l’égalité est en cours, l’enjeu étant de ne pas prendre le chemin de l’égalitarisme.

1) Les non-dits d’une égalité à ne pas sous-estimer

Les neurosciences ont tranché et plaident en faveur de l’égalité homme/femme du fait de la plasticité du cerveau, il n’y a pas de différences cognitives entre les filles et les garçons. Pourtant reste toujours une catégorisation anthropologique de la société inévitable, et que personne ne souhaite supprimer : le féminin et le masculin.

Même si « on ne nait pas femme (ou homme) et que l’on devient », ce que Simone de Beauvoir jusqu’au gender studies ont mis en avant, c’est l’importance fondamentale et avérée de l’environnement et de l’éducation dans ces devenirs. Pourtant ces différences homme – femme, souvent minimes, sont toujours présentes, tout le temps, et surtout aux moments où l’on s’y attend le moins.

Même en le sachant, il n’est pas toujours facile de percevoir ces différences et, surtout, de les transcender. Dans toute conversation homme – femme, le malentendu n’attend qu’une étincelle pour surgir, le conflit peut se cacher derrière chaque mot, chaque intonation. On le sait que ce soit dans les couples, chez les parents et entre professionnels chacun se surveille l’un l’autre… Il y a toujours quelque chose qui se joue.

Il ne faudrait pas que la mixité devienne un facteur de souffrance au travail. Faire coexister l’équilibre féminin/masculin est un travail d’équilibre quotidien, difficile et de longue haleine.

Méfions-nous du politiquement correct actuel sur ce sujet où dans l’entreprise, il est de bon ton de dire aujourd’hui qu’être managé par un homme ou une femme n’a pas d’importance du moment que les objectifs soient atteints ; or si on creuse un peu on se rend vite compte que le sexe a une importance et ne doit pas être sous-estimé. Regardons les enquêtes (1) certes près de 2/3 des managés affirment ne pas avoir de préférence quant au sexe de leur manager.

Pourtant là encore des différences subsistent, car s’il fallait vraiment trancher, la préférence irait plutôt aux hommes (26 % contre 12 %). Cette préférence est d’ailleurs encore plus marquée chez les femmes, quel que soit leur statut : 34 % des femmes managers et 30 % des femmes non-managers préfèrent être encadrées par un homme. Les qualités de management reconnues aux femmes ne leur permettent pas de faire jeu égal avec les hommes aux yeux des managés.

De la même manière, à la question « qui préfère-t-on encadrer ? », 26 % des managers se prononcent en faveur des hommes, contre 10 % en faveur des femmes. Là encore, les femmes sont plus enclines que les hommes à plébisciter les collaborateurs masculins (à 30 % vs 24 %). Les raisons évoquées sont particulièrement segmentées (ou stéréotypées). Les femmes sont perçues comme plus travailleuses, fiables, persévérantes et adaptables au changement. Les hommes seraient plus simples dans les relations au quotidien (meilleur relationnel, moins de conflits…), seraient de meilleurs techniciens et imposeraient moins d’absences et de contraintes sur les horaires.

C’est ici que se traduit toute la complexité de la lutte contre le sexisme dans le monde du travail : des compétences plus diversifiées sont aujourd’hui attendues de tous les managers, hommes comme femmes. Finalement, à vouloir attribuer aux femmes des compétences sexuées (bonnes ou mauvaises) dans le management, on prendra toujours le risque d’un nouveau sexisme, certes bienveillant, mais tout aussi stigmatisant.

2) Une nécessaire réconciliation des points de vue

Une étude (2) indique que le passage du taux de féminisation de 26 % à 50 % entraine un gain de performance de 1,7 % ainsi qu’un gain de performance collective de 8,5 %. La féminisation des équipes dirigeantes y est indiquée comme une vraie source de performance. En général, les entreprises dirigées par des femmes présenteraient une profitabilité moyenne supérieure à 9 % à celles dirigées par des hommes.

Cependant il ne s’agit pas, bien entendu, de postuler une supériorité de l’un ou l’autre sexe, dans un machisme ou un féminisme obsolète, mais de constater la richesse et surtout la complémentarité des deux approches. Car en voulant prouver que les femmes posséderaient des qualités managériales supérieures aux hommes, on en reviendrait à rétablir des stéréotypes contreproductifs.

La place des femmes aujourd’hui dans le management est objectivement difficile, voire impossible à tenir, celle-ci peut se résumer de la façon suivante : « Dans le management, tant que vous n’avez pas fait vos preuves, vous n’êtes qu’une femme. Et quand vous avez prouvé votre valeur, vous n’êtes plus vraiment une femme » ce qui est certes peut-être bon pour les objectifs de l’entreprise, mais dommageable pour les relations entre les femmes et les hommes. Et pour le statut du féminin !

Sheryl Sandberg (n°2 de Facebook) et Marissa Mayer (ex n°1 de Yahoo) en s’imposant avec des critères masculins dans les univers (très misogynes) des nouvelles technologies (3) ont certes ouvert des voies et ont donné confiance en servant d’exemples à de nombreuses femmes dans l’entreprise.

Mais peut-être est-il temps que les femmes acceptent que les hommes puissent être leur allié dans cette marche vers l’égalité et le travailler mieux ensemble. C’est Avivah Wittenberg (4) femme leader d’opinion qui écrit « Peut-on douter que les femmes sont là où elles sont aujourd’hui en partie grâce aux partenaires masculins – à la maison et au travail – qui les ont accompagnés tout au long des révolutions du dernier demi-siècle ? J’ai rarement rencontré une femme qui a réussi, qui n’ait pas été développée et promue par au moins un homme éclairé ».

De plus, les hommes qui seront ambassadeurs de ce progrès ne pourront pas être taxés de favoritisme pour leur camp, même si ce ne sera pas facile pour eux. Le fait de croire que ces problématiques sont des affaires de femmes ne sert pas ces dernières. L’enjeu étant de progressivement faire basculer la majorité de la gent masculine.

Femmes et hommes chacun de leur coté peuvent arriver à faire et créer de la valeur, mais ce qui s’est surement fait de mieux dans l’humanité depuis longtemps est la réunion du masculin et du féminin. Pourquoi le monde les organisations n’en bénéficieraient-il pas ?

3) Vers une innovation managériale

Nous n’avons pas ou peu de recul à peine 40 ans aujourd’hui sur cette nouvelle donne anthropologique, à savoir une vraie mixité homme femme dans le monde du travail et donc peu de recul sur ces nouvelles relations managériales. Et de ce fait nous devons cocréer, codévelopper, coconstruire de nouvelles approches pour que femmes et hommes puissent mieux travailler ensemble.

Tout d’abord décloisonner et faire des groupes de travail réellement mixtes. Certes les actions des associations, groupes et collectifs féminins ont permis à de nombreuses femmes de prendre confiance en elle, en leur permettant d’échanger sur ces problématiques et se doter de la force d’un collectif leur permettant de s’exprimer et de recevoir conseils et outils pour arriver à s’imposer. Mais le risque serait aujourd’hui de favoriser un entre-soi uniquement féminin.

Sensibiliser et valoriser la mixité et l’égalité professionnelle homme femme par des outils d’identification et de réduction des stéréotypes liés au genre. Pourquoi pas en proposant par exemple du mentorat mixte ?

Aujourd’hui mettre en œuvre des ateliers de codéveloppement sur le management homme femme dans l’entreprise afin de faire partager, émerger, enrichir et harmoniser les pratiques doit être une priorité. Atelier mixte, mais aussi coanimé par un homme et une femme, car ce binôme pourra stimuler les ressources du collectif à partir des situations professionnelles apportées par les participants et des problématiques de genre dans l’entreprise.

Garant du dispositif, ils s’assurent de la participation de chacun et de la qualité des échanges. Ils mettent en résonnance les sujets abordés et les apports de chacun. Attentifs à la progression du groupe, ils proposent des éclairages méthodologiques et des modèles appropriés en réponse aux besoins des participants. En établissant une « cartographie des controverses », le binôme pourra réguler les échanges en écoutant les problématiques, mais aussi les solutions proposées par le groupe et surtout en apportant une réponse commune tant d’un point de vue du féminin que du masculin sur les problématiques exposées.

Femmes et Hommes des 4 générations qui coexistent dans l’entreprise se doivent aujourd’hui d’inventer un nouveau genre managérial, par des moments d’échanges que Dirigeant, DRH, Consultant, Coach doivent favoriser et faciliter, afin d’identifier quels sont les meilleurs leviers pour que la parité homme femme deviennent une réalité. Le but étant d’obtenir une plus grande fluidité dans les relations afin de renforcer les performances individuelles et collectives.

(1) BVA-BPCE, Enquête Essenti’elles – le baromètre des femmes managers

(2) GoodWill management et IMS – Entreprendre pour la cité, « Diversité du capital humain et performance économique de l’entreprise »,

(3) « Le sexisme empoisonne la Silicon Valley », Figaro-économie,

(4) « Male bosses need to speak up for gender balance » d’ Avivah Wittenberg-Cox sur Harvard Business Review Blog Network,

Article paru sur le cercle les Echos en 2014